UNE PETITE FLAMME QUI S'ETEINT
Il y a des décès qui vous marquent plus que d'autres,
et ce ne sont pas forcément ceux qu'on croit.
Des gens jeunes, dans le coma pendant plusieurs jours, plusieurs semaines, c'est marquant mais les décès des personnes âgées ne nous sont pas forcément moins pénibles.
Même avec tout ce qui est mis à notre disposition aujourd'hui, rare sont les personnes qui partent paisiblement.
Leur respiration graillonnante, leur visage déjà déformé par une fin proche est finalement ce que nous voyons le plus.
Sans y penser tous les jours, nous pouvons nous remémorer avec plus ou moins d'exactitude la fin d'un patient lorsque nous nous remettons à en reparler avec les collègues.
En général, on garde d'un décès un goût amer pendant quelque temps, puis ça passe, enfin, ça se range dans notre cerveau comme tous ce que nous pouvons voir et entendre dans notre métier.
Mais, bizarrement, il y a un décès qui me laisse plus mal à l'aise que les autres, et pourtant...
Un dame, je ne saurais dire son âge, 60-70 ans peut-être.
Un cancer très avancé.
...était arrivée chez nous, en soins de suite médicales et cancérologie, après un séjour en soins palliatifs ( cela arrive lorsque la fin n'est pas aussi proche que ce qu'ils avaient prévu ! On en a même vu rentré chez eux ! ).
Après plusieurs mois passés au Vésinet, cette dame était de plus en plus fatiguée, pas forcément plus dégradée mais elle arrivait de moins en moins à exécuter les gestes de la vie quotidienne, et les autres...
Et le cancer prenait encore plus d'ampleur.
Il était prévu qu'elle retourne en soins palliatifs.
Ce soir là, veille de son départ en USP, je l'avais raccompagnée des toilettes, l'avait installée pour prendre sa tisane et ses comprimés, l'avait aidée à coucher, comme tout les soirs depuis que la fatigue l'empêchait de le faire elle-même.
Minuit, 1er tour des chambres, je l'installe sur le côté pour éviter les escarres, elle dormait.
Trois heures, 2ième tour, je m'approche, elle était décédée.
Comme ça, sans faire de bruit, dans son sommeil, la petite flamme de vie s'était envolée.
Pschittt... plus rien.
Bien sûr que nous savions que cela se terminerait par un décès parce que, premièrement, c'est notre lot à tous et que, pour elle c'était envisagé à court terme.
Mais on a tellement l'habitude des décès long et pénible que lorsque cela se passe comme ça, ça me fait bizarre.
Mon appréhension depuis 4 ans, quand je fais mes tournées, c'est de ne pas me rendre compte que quelqu'un est décédé dans son lit ( et non, je ne les secoues pas pour savoir s'il dorment et ils ne ronflent pas tous pour me rassurer ! ).
Cet épisode m'a conforté dans mon angoisse, même si je m'en suis rendue compte, les patients peuvent mourir sans nous prévenir !!
Pour me réconforter ( et oui, si ce n'est pas moi même, qui le fera ? ), je me dis que cette dame ne voulait pas repartir en USP ( elle l'avait dit ), elle à donc décidée de partir chez nous et sans souffrir.
Finalement, je suis préparée à la douleur, la souffrance et le désarroi mais pas à la vie tout simplement, avec un début et une fin.
C'est sûrement pour cela que les services qui me sont le plus pénibles sont celui de pré et post natalité et long-séjour et celui dans lequel je me sens le mieux et la cancéro...
... c'est là que l'on se pose des questions sur la dimension qu'a pris notre métier sur notre vie !